Buvez de l’eau mais ne jouez pas aux scientifiques

En matière de boussole qui indique le Sud, le magazine RGNR est en passe de devenir une référence. Entre le n’importe quoi sur l’autophagie, l’incapacité à utiliser et citer correctement ses sources, sans parler, bien sûr, de l’approche basée exclusivement sur des pseudo-sciences, il y aurait de quoi écrire une thèse sur la ligne éditoriale de ce «magazine».

Le dernier numéro parle de l’eau. Alors, parlons-en, de l’eau ! (ou pas !)

On va commencer tranquillement avec l’eau de Quinton

C’est de l’eau de mer que les gens boivent. Et ça coûte cher, vraiment cher. De 10 à plus de 40 € le litre.

Exemple d’eau de mer en vente (même à E. Leclerc)

Ça vient d’une idée saugrenue de René Quinton (un autodidacte du début du 20éme siècle, sans aucune formation scientifique et qui réfutait la théorie de l’évolution…) selon laquelle l’eau de mer serait parfaite pour la vie. Alors évidemment, ça n’a jamais été prouvé, au contraire même, la NOAA (l’institut national américain qui s’occupe de l’atmosphère et de l’océan) a une page dédiée pour rappeler qu’il ne faut pas boire de l’eau de mer. A l’époque de Quinton (il y a un siècle donc), certains s’en servaient pour ré-hydrater les enfants atteints de gastro-entérite. C’est assez logique mais ça ne vaut pas mieux que l’eau un peu sucrée et un peu salée (le sel permettant à l’eau de rentrer dans les cellules et donc de ré-hydrater). Pour le reste, il n’y eut, déjà à cette époque, aucune autre preuve d’efficacité (ils l’avaient essayée sur la tuberculose et l’hémophilie du nouveau-né… (source).

Ce qui est drôle là-dedans, c’est qu’à la limite, à l’époque de Quinton…bon si ça les amusait de boire de l’eau de mer pour rien et de payer une blinde pour ça, soit ! Mais depuis 100 ans, il y a eu quelques ‘légers’ changements dans l’océan, surtout côtier, qui sont assez évidents pour ceux qui ont une conscience écologique. A notre époque, savez-vous ce que vous buvez avec l’eau de Quinton ? Par exemple celles recommandées par RGNR (une extraite dans le Golfe de Gascogne et l’autre sur la côte Sud espagnole côté Méditerranée) ?

Capture du commentaire réponse d’un responsable du site qui vend l’eau de Quinton

Dans cette eau de mer où, regardez bien, le plancton n’est pas filtré. Le plancton, ce n’est vraiment pas un truc de l’ordre du milliardième de millimètre, c’est plutôt grand. Si le plancton n’est pas filtré, alors tout ce qui est plus petit ne l’est pas non plus n’est-ce pas?

En buvant cette eau qui ne sert à rien, vous allez donc pouvoir également ingérer : des pesticides, des herpesvirus (ceux qui font crever les huitres), des virus fécaux comme celui de la gastro par exemple, des métaux lourds (plomb, mercure…), des microplastiques bien évidemment etc. (références en bas de page).

Alors c’est sûr, pour savoir ça, il faut effectivement des bases en chimie, en physique, et en biologie. 

Oui, en effet, il faut avoir les bases ……….

Mais continuons, et on va un peu dévier de la science maintenant, enfin, vous allez voir. Parlons #ConflitsDInteret

Première référence du magazine, Marc Henry, qui aurait découvert un 4éme état de l’eau.

Publication Facebook promotionnelle du magazine Régénère

D’après ce message, le 4éme état de l’eau serait VRAIMENT tout petit petit (« du milliardième de millimètre ») soit, sans trembler des genoux, plus petit que la molécule d’eau elle-même (qui fait environ 3 Angstrom, autrement dit 0.3 nanomètre, ou 0.3 milliardièmes de mètre…). Ça doit être un état super puissant et qui défie toute la physique puisque qu’il serait 10 000 fois plus petit que la molécule elle-même, selon régénère. 

Une telle découverte, vous pensez bien, doit avoir l’objet de dizaines de publications scientifiques dans de grands journaux, non? Alors justement c’est intéressant parce qu’un rapide tour sur les sites de recherche de publications scientifiques (nos google à nous) montrent que les termes « morphogenic water » débouche sur…  aucune publication scientifique, tout juste 2 résumés pour des conférences. On est donc en présence d’un 4éme état de l’eau, qui révolutionne toute la physique, et on ne trouve aucun article avec le nom de cet état !

Penchons-nous maintenant sur le Dr. Henry. Si on regarde un peu sa bibliographie, il publie essentiellement dans Substantia, « journal » dans lequel on le retrouve dans le comité scientifique, et dans Inference : International Review of Science, dont il est éditeur. On trouve quelques uns de ses articles dans Water, où il est éditeur associé. Pour expliquer simplement, le monsieur publie ses découvertes dans des journaux dans lesquels il fait partie des personnes qui décident de ce qui peut y être publié, vous suivez ? En somme, il est juge et partie. Ça, ça se rapproche du conflit d’intérêt scientifique, voyez-vous.

Hmmm …

AH AH AH AH AH

Deuxième référence, Jacques Benveniste.

Publication Facebook promotionnelle du magazine Régénère

Jacques Benveniste aurait révolutionné la physique à la suite d’un article paru dans Science (un des plus gros journaux scientifiques) publié en 1988 sur la mémoire de l’eau (pour un résumé de l’affaire, on vous conseille le site de l’INA où vous pourrez faire coucou à Luc Montagnier, évidemment de la partie ; et si vous voulez lire l’article original, c’est ici). Suite à cet article, il y eut des contre expertises très tendues entre scientifiques de l’époque. Il y a beaucoup de littérature sur le sujet, donc on ne développera pas ici l’aspect scientifique de la controverse.

Non, on va se concentrer sur autre chose. Reprenons le fil chronologique de cette histoire parce qu’on va bien rigoler. Benveniste, juste parmi les justes, et son équipe de l’INSERM (dont E. Davenas, F. Bauvais et P. Belon, 2 futurs co-auteurs de l’étude), étaient financés par…Boiron, et ce depuis 1982. Rien d’étonnant quand on sait que P. Belon était « Directeur de la recherche » chez Boiron depuis 1980, selon sa fiche LinkedIn.

1985, au cours d’un colloque interne à l’INSERM, on retrouve Benveniste affirmant que « les vertus de l’homéopathie étaient établies », alors qu’en 1988, lors de la controverse, il affirma ne rien y connaitre en homéopathie. Toujours en 1985, il rencontre, lors d’un congrès de la Ligue Médicale Homéopathique Internationale à Lyon, 2 de ses futurs co-auteurs : J. Amara, et M. Oberbaum, ce dernier étant médecin homéopathe. Toujours AVANT la publication (en 1984 exactement), Bernard Poitevin, futur co-auteur et médecin homéopathe, est devenu « Responsable de la recherche et assistant à la Direction Médicale aux Laboratoires Homéopathiques de France » (qui fusionneront plus tard avec…Boiron, voilà son cv). Jean Sainte-Laudy, également co-auteur, travaillait depuis plusieurs années en collaboration avec Boiron au moment de l’étude, après avoir fait partie de l’équipe de Benveniste à l’INSERM au début des années 80. 

Si ça c’est pas du beau conflit d’intérêt avec l’industrie « pharmaceutique » !

hmmm² …

AH AH AH AH AH AH AH AH 

Allez on continue notre plongée dans le magazine régénère avec les cristaux d’eau de Masaru Emoto. Il affirma que les émotions « influencent la structure des cristaux d’eau ». 

Publication Facebook promotionnelle du magazine Régénère

Regardons de plus près ce monsieur Emoto.

Il n’est pas docteur, non, il n’a jamais passé aucun doctorat. Il a obtenu une certification de docteur en médecine alternative par l’ « Open International University » mais personne ne sait vraiment ce que c’est cette “université” (on ne trouve aucune référence si ce n’est autour de Masaru Emoto) après avoir créé l’institut IHM à Tokyo. Ah non pardon, pas l’institut, la société « IHM Corporation ». A-t-il vraiment fait de la recherche ? NOPE. Il a écrit des bouquins, un article dans la revue The journal of alternative and complementary medicine, où sa « corporation » est miraculeusement devenue « IHM Research Institute ». D’ ailleurs ce journal, c’est officiellement celui de la « société pour la recherche sur l’acupuncture » dites donc.

Bref, cette « publication » est un exemple de ce que n’est pas une publication scientifique. Emoto se pare du titre de M.D. (Medical Doctor), sort 2 pages d’article, à peine 2 références (une c’est…Benveniste et l’autre c’est son propre bouquin), on ne sait pas quand le manuscrit a été reçu, puis reviewé (corrigé par les pairs) puis publié. Bref, ce n’est pas un article scientifique. 

Il a aussi à son compteur 2 autres publications avec un dénommé Dean Radin, dont une où son “IHM” change encore de nom pour devenir « IHM General Institute ». L’autre est publiée dans le journal Explore : the journal of Science and Healing, dont Radin est éditeur associé… encore un conflit d’intérêt.

Un petit mot sur Dean Radin. C’est un violoniste qui a ensuite fait de la physique puis un doctorat en psychologie. En réalité, il est para-psychologue, et ce qu’il aime bien, c’est « s’engager dans la recherche aux frontières de la conscience ». Notamment lors de colloques chez Google, Johnson & Johnson, Merck… Ça c’est de la vraie résistance au système!

L’excellente vidéo de G. Milgram sur les travaux de Masaru Emoto et ses dérives

On en oublierait presque ce monsieur Konstantin Korotkov. Lui, il a publié 3 fois sur les cristaux. Vous allez rire : Une fois dans International Journal of Complementary and Alternative Medicine, où il fait partie du comité de rédaction (et hop encore un conflit d’intérêt) ; une autre fois dans Water, vous savez, le truc de Marc Henry que l’on a vu au début (tout est lié !), et la dernière dans un journal où il n’est pas affilié (ouf), ce dernier article n’étant cité que de 2 fois (c’est vraiment très peu en recherche), dont une par lui-même et l’autre par le journal Water (oui encore). Pour en savoir plus sur lui, et découvrir que son truc à lui, c’est de vous vendre ses bouquins et surtout son appareil magique qui voit votre « système énergétique », voici sa fiche psiram.

Encore une révolution de la physique qu’on ne publie marginalement que chez les copains qui vont discuter avec l’industrie pharmaceutique, et qui n’est reprise par personne.

Et pour finir, vous voulez rire, devinez à qui on fait coucou chez Emoto ?

Capture du site masaru-emoto.net

Références : 

Contamination aux herpesvirus en Golfe de Gascogne : Fleury, E., Barbier, P., Petton, B. et al. (2020). Latitudinal drivers of oyster mortality : deciphering host, pathogen and environmental risk factors. Sci Rep 10, 7264. https://doi.org/10.1038/s41598-020-64086-1 

Contaminations aux virus fécaux en Golfe de Gascogne : Pommepuy, M., Hervio-Heath, D., Caprais, M. P., Gourmelon, M., Le Saux, J. C., & Le Guyader, F. (2005). Fecal contamination in coastal areas : an engineering approach. In Oceans and Health : Pathogens in the marine environment (pp. 331-359). Springer, Boston, MA. https://archimer.ifremer.fr/doc/2006/publication-1207.pdf 

Pollution aux microplastiques en Golfe de Gascogne : Mendoza, A., Osa, J. L., Basurko, O.C. et al. (2020). Microplastics in the Bay of Biscay : An overview. Marine pollution bulletin, 153, 110996.

Pollution aux métaux lourds en Golfe de Gascogne : Boutier, B., Quintin, J. Y., Rozuel, E., Dominique, A., & Bretaudeau-Sanjuan, J. (2011). Retrospective study of metal contamination time trends in the French part of the Bay of Biscay. Environmental technology, 32(15), 1807-1815.

Pollution aux métaux lourds en Méditerranée : Benedicto, J., Andral, B., Martínez-Gómez, C., et al.  (2011). A large scale survey of trace metal levels in coastal waters of the Western Mediterranean basin using caged mussels (Mytilus galloprovincialis). Journal of Environmental Monitoring, 13(5), 1495-1505.

Pollution aux pesticides en Méditerranée : Moreno-González, R., Campillo, J. A., & León, V. M. (2013). Influence of an intensive agricultural drainage basin on the seasonal distribution of organic pollutants in seawater from a Mediterranean coastal lagoon (Mar Menor, SE Spain). Marine pollution bulletin, 77(1-2), 400-411.

Pollution aux produits pharmaceutiques en Méditerranée : Moreno-González, R., Rodriguez-Mozaz, S., Gros, M., Barceló, D., & León, V. M. (2015). Seasonal distribution of pharmaceuticals in marine water and sediment from a mediterranean coastal lagoon (SE Spain). Environmental Research, 138, 326-344.

ndla : malheureusement, il y en a bien d’autres des références comme celles-ci, mais on ne voudrait pas vous assommer !

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